vendredi 22 mai 2015

Production et commercialisation du « lanhouin », un condiment à base de poisson fermenté du golfe du Bénin.

Auteur(s) :Victor B Anihouvi1,*, Joseph D Hounhouigan1George S Ayernor2
1Département de nutrition et sciences alimentaires, Faculté des sciences agronomiques, Université d’Abomey-Calavi, 01 BP 526 Cotonou Bénin
2University of Ghana, PO Box LG 134, Legon Ghana
La conservation du poisson dans les pays chauds est difficile en raison de la nature très périssable de ce produit, du manque d’infrastructures de conservation adéquates et du fait des conditions climatiques et d’environnement qui favorisent sa dégradation en quelques heures [1, 2]. Au Bénin, à l’instar des autres pays de la sous-région ouest-africaine, les pertes post-capture sont estimées à environ 20 %, malgré les efforts que déploient chaque année plus de 4 000 femmes pour limiter ces pertes en procédant à la conservation du poisson frais par diverses techniques traditionnelles, dont la fermentation artisanale pour la production du « lanhouin » [3-5].Le lanhouin est du poisson salé, fermenté et séché, utilisé comme produit de sapidité par les populations de l’ethnie Mina. C’est un produit largement consommé dans le golfe du Bénin, notamment au Bénin, au Togo et au Ghana, pays où vivent ces populations [6]. Au Bénin le lanhouin est surtout consommé au sud, notamment dans les départements du Mono et du Couffo et dans les villes cosmopolites comme Cotonou et Ouidah. Il est utilisé pour assaisonner principalement les sauces aux légumes mais aussi les sauces à la tomate et au poisson fumé, le « monyo », et même parfois le riz au gras et les fritures. Compte tenu de l’importance socio-économique du produit, et eu égard au peu d’informations sur ce produit (surtout au Bénin), une étude permettant de mieux connaître le lanhouin, tant sur le plan socio-économique que technologique, s’impose. Tel est l’objectif de la présente étude.
MATÉRIEL ET MÉTHODE
Une enquête socio-économique a été réalisée dans les départements de l’Atlantique, au sud centre, et du Mono, au sud-ouest du Bénin. Le choix de ces deux zones se justifie par le fait que le lanhouin est un condiment propre aux populations Xla et Mina qui vivent notamment dans le Mono et dans l’Atlantique.
La méthode d’échantillonnage adoptée est l’échantillonnage en grappe à trois degrés d’unités, avec, au niveau primaire, les villes enquêtées, au niveau secondaire les sites de production et les marchés et au niveau tertiaire les individus et groupes d’individus enquêtés.
Les unités primaires ont été choisies de manière stratifiée et raisonnée. Deux strates ont été constituées : les villes cosmopolites et les villes du Mono. Comme villes cosmopolites, Cotonou et Ouidah ont été choisies à cause de la possibilité d’y trouver aussi bien des marchés que des sites de production. Dans le Mono, deux villes ont été retenues : Grand-Popo et Comé. La première est la commune côtière du Mono, et la seconde est une ville carrefour abritant un marché très important dans la région.
Les sites de production ont été choisis de manière aléatoire aussi bien dans le département de l’Atlantique (Cotonou et Ouidah) que dans le Mono (Grand-Popo et Comé). Quant aux marchés enquêtés, on a procédé à un choix aléatoire à Cotonou ; dans le Mono, tous les marchés ont été pris en compte en raison du nombre très limité de marchés. Les productrices et les revendeuses ont aussi été choisies de manière aléatoire dans les zones et les marchés retenus pour l’enquête. Au total, 13 sites de production et 7 marchés ont été visités ; 41 productrices et 23 revendeuses ont été interviewées. Les entretiens ont été réalisés sur la base d’un questionnaire et les données collectées ont été traitées à l’aide du logiciel Winstat grâce à une fiche de dépouillement construite à partir du questionnaire.
Pour la caractérisation, 40 échantillons de lanhouin fabriqués à partir de deux espèces de poissons (Pseudotolithus  sp. et Scomberomorus tritor) ont été collectés sur 10 sites de production et de vente. Le pH des échantillons a été mesuré grâce à un pH-mètre (Hanna HI 9318) ; les teneurs en eau, en sel, en protéine et en histamine ont été déterminées respectivement par les méthodes AOAC N° 950.46, 937.09, 981.10, 977.13 [7] ; la teneur en azote basique volatil total (ABVT) a été déterminée selon Pearson [8] ; la flore aérobie mésophile totale (FAMT) a été énumérée conformément aux normes NFT 90-401 et NFT 90-402 et les salmonelles conformément à la norme NF ISO 6579.
RÉSULTATS ET DISCUSSION
CARACTÉRISATION DES ACTEURS DE LA FILIÈRE
La production et la commercialisation du lanhouin sont assurées uniquement par les femmes. Cinq principaux acteurs ont été identifiés dans la filière : les pêcheurs, les productrices, les collectrices, les détaillants et les consommateurs.
Les pêcheurs
Les pêcheurs livrent le poisson aux productrices. Ces productrices sont le plus souvent leurs parentes : épouses, enfants, nièces, cousines, mères, etc. Celles-ci revendent le poisson soit à l’état frais, soit après transformation en poisson fumé ou en « lanhouin ». En 2001, la production du lanhouin représente environ 10 % des captures de la pêche maritime et 2,5 % de la production halieutique totale (pêche maritime et continentale) [9].
Les productrices
Trois catégories de productrices ont été identifiées : les grosses, les moyennes et les petites productrices. Les grosses productrices produisent environ 200 kg de lanhouin par mois tandis que les moyennes productrices ont une production mensuelle de 25 à 50 kg. La troisième catégorie est représentée par celles qui produisent moins de 25 kg de lanhouin par mois, la transformation du poisson constituant une activité secondaire pour cette dernière catégorie.
Soixante-quinze pour cent des productrices interviewées ont pour activité principale la production et la commercialisation du lanhouin et tirent l’essentiel de leur revenu de cette activité. Quatre-vingt-quinze pour cent d’entre elles exercent cette activité de manière individuelle alors que 5 % évoluent en groupement. Trente-cinq pour cent des grosses productrices participent aussi au commerce transfrontalier du lanhouin comme les collectrices.
Les collectrices
Ce sont surtout des commerçantes de la sous-région ouest-africaine. Environ 65 % d’entre elles viennent de Lomé ou d’Accra. Elles collectent les produits dans les marchés ou au domicile des grosses productrices sur commande. Les produits collectés sont distribués en gros à Lomé (Togo) ou à Accra (Ghana).
Les détaillants
Contrairement aux collectrices, elles assurent la vente au détail du lanhouin dans les marchés au Bénin. Elles se ravitaillent auprès des grosses et moyennes productrices et vendent en moyenne 15 à 20 kg de lanhouin par mois. En plus du lanhouin, certaines d’entre elles vendent toutes sortes d’ingrédients pour la sauce : légumes, tomate, sel, etc.
Les consommateurs
Deux types de consommateurs ont été identifiés : les consommateurs directs et les restauratrices et vendeuses des aliments de rue. Les premiers achètent le lanhouin pour leur propre consommation domestique, donc en très petite quantité, alors que les secondes en achètent 3 à 5 kg en moyenne par semaine.
Par rapport à l’activité de production, on observe une spécialisation ethnique et régionale qui pourrait être expliquée en remontant à l’origine de la création de cette activité ou en se référant aux habitudes alimentaires des groupes ethniques concernés. En effet, toutes les productrices interviewées sur tous les sites de production sont des Mina, des Xla ou des Evé venus du Ghana, et cela est à mettre en relation avec l’activité de pêche qui est essentiellement assurée par les ressortissants de ces groupes ethniques dont les villages sont généralement situés dans les régions côtières. La conservation du surplus de production par le sel, la fermentation ou le séchage constitue pour eux les techniques les plus simples et les moins coûteuses [1]. Avec les flux migratoires des populations Xla et Mina vers les centres urbains, la consommation du lanhouin a été progressivement adoptée par d’autres groupes ethniques vivant surtout dans le sud Bénin.
Le lien de parenté entre le pêcheur et la productrice définit le type de relation entretenue avec cette dernière. Cela garantit non seulement la régularité de l’approvisionnement en poisson et par rapport à des espèces de poissons données mais aussi et surtout la cession du poisson à un prix préférentiel. Les épouses des pêcheurs impliquées dans la production n’achètent généralement pas le poisson ; une partie des captures leur est livrée gratuitement par le mari et, en contrepartie, cette dernière doit utiliser une partie des recettes issues de la vente du lanhouin pour les besoins du ménage (nourriture, scolarité des enfants, etc.). Ce mode de fonctionnement fait qu’on observe un « verrouillage » indirect au niveau de la production ; la vente au détail, en revanche, est aussi bien assurée par des femmes Xla et Mina que par des femmes d’autres ethnies.
IMPORTANCE SOCIO-ÉCONOMIQUE DU LANHOUIN
L’importance socio-économique du lanhouin tant sur le plan alimentaire que commercial se traduit par l’existence d’un réseau de transactions commerciales. La commercialisation du lanhouin suit des flux locaux, régionaux et internationaux à travers un réseau de marchés intérieurs et extérieurs. Malgré le caractère mixte des marchés internes, il est observé une diminution des fonctions lorsqu’on passe des marchés de collecte aux marchés de consommation. Les flux internationaux sont animés par les collectrices et quelques grosses productrices alors que les flux locaux et régionaux sont animés par les moyennes et petites productrices et les détaillants (figures 1 et 2). Environ 3 000 tonnes de lanhouin sont produites chaque année, ce qui correspond à un chiffre d’affaires annuel d’environ 3 milliards de F CFA1. Il n’existe pas de données chiffrées sur les exportations, mais d’importantes quantités de lanhouin sont exportées vers le Togo et le Ghana. Selon les grosses productrices qui assurent le commerce transfrontalier du lanhouin, plus de 50 % de la production est exportée vers le Togo et le Ghana.
L’accès économique à la production du lanhouin est plus ou moins facile selon le type de production pratiquée. Le capital minimum de départ est d’environ 100 000 F CFA pour une productrice moyenne et de 300 000 F CFA pour une productrice qui veut s’investir dans le commerce sous-régional du lanhouin. Cette dernière catégorie de productrices réalise un chiffre d’affaires annuel d’environ 2 400 000 F CFA et en tire un profit d’environ 500 000 F CFA. En réalité, le revenu tiré de cette activité varie en fonction de l’importance de la production, de l’existence d’une clientèle fixe et de l’ancienneté dans l’activité.
D’une manière générale, les productrices de lanhouin n’ont pas souvent accès à un crédit institutionnel, ce qui constitue un obstacle à l’expansion de leurs activités. Elles bénéficient toutefois de quelques possibilités de crédit matières premières (poisson et sel) et de crédit d’équipement à court terme, reposant surtout sur la solidarité familiale et sur les relations de confiance entre acteurs concernés. Aussi a-t-il été observé que la production de lanhouin est une activité qui se transmet de génération en génération. Ainsi, une mère, une tante ou une cousine productrice dont l’âge est avancé peut remettre gratuitement ses équipements à un membre de la famille dans le souci de perpétuer cette activité au sein de la famille.
DESCRIPTION DES SYSTÈMES TECHNIQUES DE PRODUCTION DE LANHOUIN
Les sites de production de lanhouin sont essentiellement localisés le long des côtes et sont pour la plupart insalubres, ce qui favorise la présence massive des mouches et autres insectes. La production se réalise très tôt le matin, ou tard dans la soirée. Le matériel de production est composé de bacs en plastique, de paniers, de couteaux, de claies de séchage et de bidons en plastique. Deux matières premières sont utilisées : le poisson et le sel marin. Les espèces de poissons utilisées pour la fabrication du lanhouin sont présentées dans le tableau 1( Tableau 1 ).
Parmi la quinzaine d’espèces répertoriées, 97 % des productrices citent le bar (Pseudotholithus  sp.) comme l’espèce la plus utilisée pour la production du lanhouin ; 91 % d’entre elles citent le faux capitaine (Galeoides decadactylus) comme la deuxième espèce la plus utilisée et 77 % le thazard blanc (Scomberomorus tritor) comme la troisième espèce la plus utilisée. Les espèces telles que le thon (Sarda sarda), la sardinelle (Sardinella maderensis) et l’alose rasoir (Hisha africana) sont au contraire déconseillées. L’une des raisons avancées est qu’il semblerait que le lanhouin à base de ces espèces provoque des démangeaisons quand il est consommé avec le « monyo ». La consommation de poisson contenant des amines biogéniques peut s’accompagner de démangeaisons [10, 11]. La production d’amines biogéniques dans le poisson et les produits à base de poisson a été rapportée par nombre de chercheurs [11, 12]. Quand le poisson est conservé ou traité dans de mauvaises conditions d’hygiène et de température, certains groupes de microorganismes présents dans le poisson sont capables de transformer les acides aminés libres en amines biogéniques dont l’histamine [11, 13].
Le procédé de fabrication du lanhouin comprend cinq ou six étapes selon les variantes du procédé : lavage/parage, maturation, triage, salage, fermentation, séchage (( figure 3 )).
Lavage/parage
Cette opération consiste à laver, éviscérer et au besoin écailler les poissons. L’écaillage et l’éviscération se font à l’aide d’un couteau ; le poisson est débarrassé des viscères à partir d’une fente pratiquée dans le ventre, juste en dessous de l’opercule. Les nageoires des poissons ne sont ni supprimées, ni réduites, le poisson apparaissant plus petit aux yeux des clients. Les poissons ainsi parés sont ensuite lavés une seconde fois avec l’eau de mer. Selon les variantes du procédé, le parage intervient dès la réception du poisson ou après la maturation.
Tableau 1 Espèces de poisson utilisées pour la fabrication du lanhouin au Bénin.Table 1. Types of fish used for lanhouin processing in Benin.
Noms locaux
Noms courants
Noms scientifiques
Agbanmandoui/zadou……..
Thazard blanc………………
Scomberomorus tritor
Ekan/djoké………………….
Bar/sénégalais/otolithe……
Pseudotholithus sp.
Figni…………………………
Carangue…………………….
Caranx senegalensis
Finvi…………………………
Friture simple……………….
Larimus peli
Gbohloué……………………
Requin………………………
Rhizoprionodon acutus
Glanmatan/kobi…………….
Carangue…………………….
Trachinotus goreensis
Guinfio/guinlénou…………
Friture à barbe/capitaine royal
Pentanemus quinquarius
Hawui………………………
Friture à écaille……………...
Brachydenteus auritus
Kokoui………………………
Dorade noire/carpe noire
Pomadasys sp.
Kokovi ……………………...
Bar noir……………………...
Corvina nigrita
Kpankpan ………………….
Carangue…………………….
Caranx sp.
Lizi…………………………
Brochet………………………
Sphyraena guachancho
Signivi……………………….
Chinchard……………………
Trachurus trachurus
Sika-Sika…………………..
Dorade rose/pageot…………
Dentex sp.
Tchikoué…………………..
Faux capitaine/petite capitaine
Galeoides decadactylus
Zozrovi…………………
Sapater………………………
Chloroscombrus chrysurus
Maturation
Elle consiste à laisser le poisson sans traitement jusqu’à son ramollissement. Durant cette étape, le poisson est soumis à un processus de dégradation tissulaire sous l’action des enzymes et des microorganismes. Deux variantes ont été observées au niveau de cette étape : la première consiste à immerger (pendant 10 à 15 heures) le poisson non paré dans l’eau de mer contenue dans une bassine, tandis que pour la seconde, le poisson est éviscéré et disposé dans une bassine sans eau de mer et laissé pendant la même durée. Toutefois, ces deux variantes conduisent à l’obtention d’un même produit intermédiaire : le poisson post-rigor appelé « poisson mou » parce qu’ayant perdu sa rigidité. Par rapport à la seconde variante, l’étape de maturation est suivie d’une étape de triage qui consiste à récupérer les poissons mous pour la suite des opérations. Le poisson non encore mou est maintenu en maturation quelques heures de plus avant d’être mis en fermentation. Selon les productrices, sur le marché, les clients ne différencient pas le lanhouin obtenu à partir de l’une ou l’autre des deux variantes.
La première variante est caractéristique du département du Mono ; elle est observée chez 11 % des productrices de cette région et 8 % de l’ensemble des productrices enquêtées alors que la seconde variante est commune aux sites enquêtés dans les deux zones concernées par l’étude et observée chez 92 % des productrices.
Salage
Le sel est introduit dans la fente d’éviscération sous l’opercule, dans les branchies et passé sur tout le corps du poisson. Le poisson est salé une ou deux fois en fonction de la durée de la fermentation ; pour le premier salage, la quantité de sel utilisée varie entre 20 et 35 % de la masse du poisson frais tandis que pour le second la quantité de sel représente environ 15 à 25 %.
Fermentation
La fermentation dure 3 à 8 jours et est fonction du type de poisson utilisé et de la disponibilité du produit sur le marché. Elle peut être décomposée en deux phases : une première de 3 jours après salage et une seconde de 5 jours après lavage et un second salage. La fermentation peut se réaliser dans différents types matériels : panier, fosse, bidon, jarre. D’une manière générale, les poissons salés sont disposés dans le matériel de fermentation en alternance avec des couches de sel et l’ensemble est recouvert de pagnes, de sacs de jute et d’emballages de récupération. Dans le cas de la fermentation en fosse, celle-ci peut être refermée avec du sable ou protégée avec une claie. En saison pluvieuse, la fosse doit être installée à l’abri des eaux de pluie pour éviter la détérioration des poissons.
Soixante-seize pour cent des productrices enquêtées pratiquent la fermentation en panier, 21 % la fermentation en jarre ou en bidon et 2 % la fermentation en fosse.
Rinçage
À la fin de la fermentation, le poisson est rincé à l’eau de mer pour réduire l’excès de sel. Quelques gouttes de pétrole ou d’essence sont ajoutées à l’eau de rinçage pour éloigner les mouches lors du séchage. Cette pratique est observée chez 30 % des productrices interviewées.
Séchage
Le séchage intervient après le rinçage ; il permet de réduire la teneur en eau du poisson fermenté. Les poissons sont mis à sécher au soleil pendant 2 à 4 jours sur des claies disposées sur des piquets. Les poissons sont retournés une fois par jour (à la mi-journée) et sont ramassés avant le coucher du soleil et mis en piles dans les jarres, les bidons ou les paniers installés sous abri.
Par rapport au bilan matière, le rendement moyen de la transformation du poisson frais en lanhouin est d’environ 66 % (P/P base humide) (( figure 4 )).
ANALYSE DES PRATIQUES DE FABRICATION
La fabrication du lanhouin nécessite beaucoup de temps et de main-d’œuvre. L’étape de fermentation qui dure au moins 3 jours est l’une des contraintes majeures soulevées par les productrices, en cas de pénurie du lanhouin sur le marché. Cette contrainte est levée par la mise sur le marché du lanhouin zokpa, c’est-à-dire du lanhouin obtenu en moins de 24 heures de fermentation. Selon les productrices, le lanhouin zokpa est peu apprécié du fait d’une mauvaise texture et d’une mauvaise couleur après séchage. En dehors des défauts organoleptiques du lanhouin zokpa, le risque majeur lié à la consommation de ce type de produit pourrait être beaucoup plus d’ordre sanitaire. En effet, la faible teneur en sel du lanhouin zokpa due au temps de contact relativement court du poisson avec le sel et une teneur en eau élevée peuvent conduire à la multiplication des microorganismes, à la dégradation du poisson et à la production d’amines biogéniques [10, 11].
La phase de maturation est décrite comme une étape très importante par les productrices car elle influe sur la texture du produit fini. Toutefois, durant cette étape on peut observer une prolifération importante des microorganismes et cela pourrait être à l’origine de la formation d’amines biogéniques, dont l’histamine [10, 13]. La production d’amines pourrait être plus importante dans le cas de la variante du procédé qui consiste à éviscérer le poisson après la maturation. En effet, les viscères du poisson présentent des niveaux de charge bactérienne très élevés, pouvant conduire, par exposition à température ambiante durant plus de 10 heures, à l’accumulation probable d’amines biogéniques [11, 13].
Il n’existe pas au Bénin d’informations sur des cas d’intoxications résultant de la consommation de poisson fermenté ; toutefois, le poisson fermenté peut être considéré comme un véhicule potentiel de maladies transmises par les aliments.
Le lavage du poisson frais et du poisson salé se fait à l’eau de mer ; l’utilisation de l’eau de mer prélevée généralement à moins de 10 mètres des rives peut être une source de contamination du poisson frais et du produit fini [12]. La quantité de sel utilisée n’est généralement pas mesurée, mais par expérience les femmes en mettent ce qu’il faut pour maintenir la qualité du produit ; selon les productrices, quand la quantité de sel utilisée est insuffisante, le ressuyage est lent et limité tandis qu’un surdosage du sel fragilise le lanhouin après séchage. Un salage insuffisant pourrait aussi entraîner la multiplication des microorganismes indésirables [1, 6]. Très souvent, le sel est conservé dans des conditions insalubres ; de plus, le même sel est recyclé pour plusieurs fermentations. Dans ces conditions, le sel pourrait être une source de contamination microbienne, surtout en ce qui concerne la flore halophile [1, 6].
Le séchage des poissons à l’air libre est une opération délicate et très pénible qui conditionne en partie la qualité du produit fini. Un mauvais séchage peut être aussi la cause d’importantes pertes économiques [1]. Un séchage insuffisant favorise non seulement le développement rapide des microorganismes durant la conservation mais aussi et surtout la poursuite des réactions enzymatiques qui peuvent modifier négativement la qualité organoleptique du produit [1]. Au cours du séchage les produits sont exposés à divers prédateurs et peuvent être aussi facilement contaminés (infestation par les mouches et autres types d’insectes). Pour protéger le lanhouin contre ces prédateurs durant le séchage, les femmes utilisent parfois du pétrole ou de l’essence et divers insecticides qui peuvent constituer des risques potentiels d’intoxication.
La conservation et le transport du lanhouin sur les sites de vente se font dans le panier de fermentation tapissé sur la paroi interne de vieux papiers de ciment et de pagnes usagés. Cet ensemble de matériel de mauvais état hygiénique pourrait être aussi une source potentielle de contamination microbienne et chimique. Tout cela montre une fois de plus que les problèmes de qualité sanitaire dans le domaine de la transformation artisanale demeurent et que des actions de sensibilisation, de formation et d’encadrement des acteurs de l’artisanat alimentaire devront se poursuivre pour garantir la sécurité des consommateurs.
La texture de la chair, l’arôme et la couleur sont les critères de qualité du bon lanhouin évoqués par les productrices. Selon elles, un bon lanhouin doit avoir l’aspect humide, une texture souple et un arôme prononcé ; sa couleur doit être éclatante et uniforme. Au plan sanitaire, le lanhouin de bonne qualité doit être exempt de germes pathogènes, sa teneur en ABVT inférieure ou égale à 500 mg N/g et sa teneur en histamine inférieur ou égale à 20 mg N/100 g [8, 11, 13, 14]. Les caractéristiques physico-chimiques et microbiologiques des échantillons de lanhouin collectés sont résumées dans le tableau 2( Tableau 2 ). Le pH des échantillons varie entre 6,8 –7,9 ; des valeurs similaires de pH ont été rapportées sur le « momone », poisson fermenté ghanéen analogue au lanhouin [15, 16]. Il n’existe pas dans la littérature un pH de référence par rapport au lanhouin. Toutefois, pour le pedah-Siam, un poisson fermenté de Thaïlande, analogue au lanhouin et fabriqué à partir de poisson frais non détérioré, le pH de référence est compris entre 6,0 et 6,4 [16]. Le pedah-Siam présentant un pH supérieur ou égal à 6,5 est considéré comme un produit de mauvaise qualité [16]. La teneur en eau des échantillons qui varie de 45 à 60 % ne garantit pas la stabilité enzymatique et microbiologique du produit [17]. La teneur élevée en ABVT traduit une dégradation importante des protéines [13] ; des valeurs similaires d’ABVT ont été rapportées par d’autres chercheurs sur le « momone » [15, 16]. La teneur en histamine est élevée pour la plupart des échantillons et supérieure à la limite admise au plan sanitaire qui est de 20 mg/100 g (bh) [13] ; cependant, 12,5 % des échantillons (lanhouin fabriqué uniquement à partir de Pseudotholithus sp.) ont une teneur inférieure au seuil de tolérance. Cela montre une fois de plus que, outre l’hygiène, le choix du type de poisson à utiliser est important pour la réduction de la teneur en amines biogéniques du lanhouin. Au plan microbiologique, on note l’absence de salmonelles dans tous les échantillons ; la flore aérobie mésophile totale (FAMT) est à un niveau acceptable pour 40 % des échantillons analysés (FAMT < 5,5 .105) [14].
Tableau 2 Caractéristiques physico-chimiques et microbiologiques du lanhouin (n = 40).Table 2. Chemical and microbiological characteristics of lanhouin (n = 40).
Minimum
Moyenne
Maximum
PH
6,8
7,5 ± 0,3
7,9
Teneur en eau (%)
45,6
53,4 ± 4,0
59,9
Protéine (% bh)
21,2
25,0 ± 2,2
28,7
ABVT (mg N/100 g bh)
249,1
334,5 ± 46,8
398,6
Histamine (mg/100 g bh)
15,2
27,3 ± 8,1
50,9
Flore totalea
5,0
6,5 ± 0,7
7,5
Salmonellab
Absent
aLog ufc/g de produit.
babsent dans 25 g de produit.
CONCLUSION
Il ressort de cette étude que la production et la commercialisation du lanhouin constituent une activité importante tant par la mise sur le marché d’un produit que par les revenus qu’elle génère aux différents acteurs de la filière. Cependant, il y a eu très peu d’intervention directe en vue d’une meilleure connaissance du lanhouin, sur le plan scientifique et technologique. Les questions d’hygiène, d’innocuité et de conservation du produit fini restent prioritaires. En conséquence, il est nécessaire d’entreprendre pour la promotion de la filière, des actions utiles et mieux indiquées telles que :
o     la création de puits d’eau potable sur les sites de production ;
o     la résolution des problèmes de déchets issus de la transformation ;
o     la mise à disposition des productrices de technologies améliorées qui prennent en compte leurs préoccupations réelles et la qualité sanitaire du produit.
REMERCIEMENTS
Les auteurs adressent leurs sincères remerciements au Centre béninois de la recherche scientifique et technique (CBRST) pour le financement de cette recherche.
RÉFÉRENCES
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